L'histoire des aqueducs

logo aqueducLes restes d'un aqueduc brisé gisent sur la plage non loin de l'étang de Trunvel. Savez-vous qu'à l'origine, il passait sous l'ero-vili, cette immense masse de galets qui se trouvait là il y a encore quelques décennies. L'aqueduc, ou plutôt les aqueducs successifs de ces étangs avaient une fonction bien particulière et ont une longue histoire qui débute bien avant ce siècle, vers 1880. Pierre Hamon, ancien ingénieur en chef du Génie Rural, a retracé l"histoire de ces ouvrages à travers un article paru dans le magazine Pen Ar Bed.

La situation géographique
Photo02Une multitude de petits ruisseaux déverse leurs eaux vers les paluds et forment les étangs du littoral : Trunvel, Kerlagan, Nérizellec etc. et arrivent en butée contre le cordon de galets avant de rejoindre le mer. Tout au long de l'année, ce cordon de protection filtre ces eaux qui s'écoulent lentement vers la mer. Mais en hiver, ces eaux s'accumulent en arrière et inondent régulièrement les terres et les quelques habitations qui s'y trouvent. Ainsi, plus de 500 hectares de terres et de pâturages échelonnés sur six kilomètres de côtes, sans compter les bordures des ruisseaux de l’arrière-pays, sont inondés ou transformer en marais. A Tréogat, près de l’étang de Trunvel, le niveau des eaux peut s’élever jusqu’à plus d’un mètre dans les maisons d’habitation et les étables. Conséquences, les rendements des étendues longuement submergées sont souvent médiocres.

Pourquoi un aqueduc
Pressés de récupérer leurs champs et prairies, les riverains ont pris l’habitude de pratiquer de profondes saignées dans le cordon de galets afin de faciliter l’évacuation des eaux vers la mer. Ainsi, avant la seconde guerre mondiale, tous les quatre ou cinq ans, on" roguait", c'est à dire qu'on déchirait le sommet du cordon, large de 30 à 50 mètres, à l’aide de herses ou de madriers tirées par des chevaux. Ce n’était pas une mince affaire car l’entaille pratiquée devait atteindre la base du cordon haut de plusieurs mètres et large de 50 en moyenne, voire de 90-100 mètres à la hauteur de Trunvel (voir le profil en long). La pression des eaux captives aidant, l’entaille s’agrandissait et bientôt le flot d’eau douce se répandait sur l’estran, entraînant vers la mer les poissons des étangs. La brèche se refermait toute seul sous l'action de la houle et des marées.

Premier essai
La création du premier acqueduc fut entreprise par J.-B. Cassard, de la famille du corsaire nantais. Il acquis l’étang de Kergalan en 1882, et son projet était d'en assécher la partie la moins profonde au moyen de deux aqueducs en bois, mais une crue exceptionnelle coïncidant avec une forte tempête ruina son œuvre en 1904. Ce fut le premier échec. Lors des marées, on peut toujours apercevoir les restes de ces premiers aqueducs sur l'estran. 

Deuxième tentative
Photo01En 1926, le projet prévoit le creusement d’un réseau de canaux reliant les étangs entre eux, l'ensemble convergeant vers un aqueduc, soit un bassin versant de 62 km2.

Les travaux débutent à l’automne 1938 mais la guerre éclate et le chantier est stoppé net en novembre 1939. Juin 1941, dans la France occupée, le chantier change de main ; le nouvel entrepreneur approvisionne les matériaux necessaires, mais l’arrivée de l’Organisation Todt à Tréguennec remet tout en question. Les Allemands commencent à exploiter le cordon de galets pour construire le "mur de l'Atlantique", mais tout ne va pas pour le mieux : Surpris par les inondations de l'hiver 1942, l'occupant met en service le tronçon amont de l’aqueduc inachevé et c'est la catastrophe : L’énorme masse d’eau creuse une vaste cuvette dans l’estran ; l’extrémité de l'aqueduc se retrouve en porte-à-faux et se brise en plusieurs morceaux. L’installation des champs de mines achève de ruiner l'ensemble.

Jamais deux sans trois
Le troisième essai est le bon. A la libération les travaux sont relancés et achevés en 1948, et ça marche ! L'ouvrage fonctionne jusqu'en février 1966. Après cette date, le recul du trait de côte consécutif aux tempêtes hivernages engendre de multiples brêches dans un ero-vili affaibli par des années de prélèvement de galets. L'aqueduc, privé de sa montagne de galets, s'affaisse puis se brise. On en retrouve aujourd'hui les tronçons sur la plage, loin d'une dune de sable qui a reculé d'une centaine de mètre. 

Photo01 1 Photo02 1 Aqueduc. de Trunvel